Parfois, on ouvre un roman noir en pensant connaître le chemin, et on s’aperçoit que chaque pas que l’on fait nous entraîne dans des profondeurs qu’on croyait réservées aux plus sombres recoins de l’âme humaine.
Avec Personne sur cette terre, Víctor del Árbol n’écrit pas simplement un polar , il interroge ce qu’il reste de nous lorsque le passé ressurgit, lorsque les blessures d’hier exigent un prix que l’on croyait avoir déjà payé.
L’histoire s’ouvre en 2005. Julián Leal, ancien inspecteur de police suspendu pour une agression violente, revient dans son village natal de Galice. Il n’y est pas revenu depuis 1975, année où sa maison a été incendiée sous ses yeux d’enfant, et où son père a été assassiné.
Gravement malade, porté par une urgence intérieure, il semble prêt à affronter les fantômes de son passé. Autour de lui, les tensions se réveillent avec d’ anciens amis devenus hostiles, des notables inquiets, et des silences trop lourds.
Tandis que le lecteur oscille entre présent et passé, entre Barcelone et la Galice franquiste, les morts s’accumulent, les secrets se fissurent, et Julián avance, à la fois enquêteur, juge et peut-être bourreau.
Dans son sillage, un tueur énigmatique accomplit des exécutions ciblées, comme s’il ouvrait la voie à une vérité que personne ne voulait plus entendre.
La première richesse de ce roman, ce sont les figures humaines qui l’habitent.
Julián, bien sûr, personnage principal brisé, fier et lucide, est le fil rouge du récit. C’est un homme hanté par ses choix, rongé par une justice qu’il ne peut plus servir officiellement mais qu’il continue à chercher.
Autour de lui gravitent Clara, ancienne journaliste ravagée par les addictions , Virginia, policière méthodique tiraillée entre sa mission et son instinct , Soria, son collègue plus brutal mais tout aussi intègre .Mais surtout Chinchilla, un adolescent cabossé par la violence des adultes, en qui Julián projette sans doute l’enfant qu’il a été.
Enfin, il y a cette silhouette inquiétante et magnétique, le tueur sans nom, qui traverse le roman comme une incarnation de la vengeance froide, de l’élégance perverse et du mal assumé.
Tous ces personnages portent leurs propres douleurs, leurs fautes, leurs ambiguïtés. Ce sont eux, plus que l’intrigue elle-même, qui donnent sa densité émotionnelle à l’histoire.
Par ailleurs, une tension latente irrigue le récit, avec ses ombres qui se glissent dans les ruelles, ses morts qui s’accumulent, ses secrets qui se fissurent sous la pression des souvenirs…
Le roman dépasse le cadre de la simple enquête . Il interroge la notion même de justice dans un monde où les puissants masquent leurs visages derrière des sourires polis et où les plus vulnérables sont toujours les premiers sacrifiés.
Il interroge aussi le fardeau des origines, la responsabilité silencieuse que l’on hérite des fautes d’hier.
Il questionne encore l’illusion du pardon, quand tout a été ravagé. Peut-on prétendre se reconstruire sur des cendres? Ou faut-il regarder en face ce que l’on a perdu, comprendre qu’on ne guérit jamais vraiment, et que le souvenir reste la seule justice pour les oubliés ?
Il y a dans l’écriture de Víctor del Árbol une densité qui prend le lecteur à la gorge, sans jamais sombrer dans la complaisance.
On referme Personne sur cette terre avec le sentiment d’avoir parcouru bien plus qu’une enquête.
On y a croisé des visages que l’on n’oubliera pas, entendu le ressac de l’océan sur la côte galicienne comme un écho aux non-dits qui hantent le village, et ressenti ce pincement au cœur lorsque la vérité s’impose, crue, brutale, implacable.
Et la phrase qui donne son titre au roman résonne longtemps après la dernière page . « personne sur cette terre n’est innocent, personne n’oublie, personne ne pardonne ».
Et peut-être est-ce là toute la beauté sombre de ce roman , nous rappeler qu’il est parfois plus courageux de continuer à avancer, même lorsque tout semble nous dire de renoncer.
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