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Deuxième volume d’une trilogie commencée avec Bleus, Blancs, Rouges, ce livre monumental de près de neuf cents pages et d’une densité impressionnante, confirme qu’on tient là l’un des projets littéraires les plus ambitieux du polar français contemporain.
Benjamin Dierstein met en scène une France à bout de souffle, une République suspendue entre la fin d’un monde et la promesse incertaine d’un autre.
Janvier 1980 , Giscard s’accroche encore au pouvoir, Mitterrand, lui, guette son heure. Dans l’ombre, les services secrets, les activistes et les barbouzes s’agitent, chacun préparant sa guerre.
Au fil d’un récit foisonnant, Benjamin Dierstein déroule une intrigue où la grande Histoire croise les destins individuels. Sur fond de campagne présidentielle et de montée des tensions internationales, la France s’enfonce dans un chaos politique et moral.
Les attentats d’Action directe, les rivalités entre services, les compromissions du SAC et les trafics d’armes venus d’Afrique composent le décor d’un pays en guerre larvée contre lui-même, où chacun des protagonistes poursuit sa propre survie.
Jean-Louis Gourvennec, brigadier infiltré au sein d’Action directe pour identifier un mystérieux trafiquant d’armes, s’enlise dans son rôle au point de perdre toute identité.
Jacquie Liénard, officier aux Renseignements généraux chargée de piloter cette infiltration, manœuvre entre idéaux et calculs de carrière .
Marco Paolini, policier de la BRI lié au SAC, tente d’effacer une bavure qui menace sa vie et sa conscience , tandis que Robert Vauthier, ancien mercenaire devenu roi des nuits parisiennes, met ses réseaux et ses armes au service des intrigues occultes de la Françafrique.
De ces trajectoires parallèles naît une fresque vertigineuse où l’idéologie, la cupidité et la raison d’État se confondent jusqu’à l’absurde.
Benjamin Dierstein conjugue à merveille la fiction et l’Histoire sans que l’une n’écrase l’autre. Les événements réels , attentats, scandales politiques, guerres africaines, règlements de comptes, servent de toile de fond à une intrigue tendue comme un arc. L’auteur réanime le passé par le prisme du roman noir. Ce qui aurait pu tourner au pensum documentaire devient au contraire un récit passionnant, porté par un rythme nerveux, une langue sèche et un sens aigu du montage.
Chaque chapitre semble monter en puissance comme une séquence de film, avec des dialogues claquants, des ruptures de ton, une alternance de points de vue, des extraits de rapports, de conversations téléphoniques et des bribes d’articles de presse. Cette polyphonie donne au roman une texture quasi cinématographique, où la fiction se mêle à la rumeur du monde.
Mais L’Étendard sanglant est levé n’est pas qu’un thriller politique d’une précision redoutable. C’est aussi un roman profondément humain, peuplé de personnages en lambeaux, dévorés par la peur, le désir ou la nostalgie d’un idéal perdu.
On sent derrière tout cela un travail de documentation colossal, mais jamais pesant. L’auteur restitue les débats, les réseaux et les connivences entre politiques, policiers et truands avec une précision presque clinique. Ce qu’il décrit, ce n’est pas seulement une époque , c’est un système, une mécanique de corruption et de dissimulation où tout le monde trahit tout le monde. Et au milieu, le lecteur est pris au piège de cette toile, avançant avec une fascination mêlée d’effroi.
Alors oui, on retrouve parfois l’influence de James Ellroy dans cette manière de tisser le romanesque et le réel, de composer un puzzle politique où chaque pièce semble tachée de sang. Mais Benjamin Dierstein a trouvé son propre ton, plus ironique, plus ancré bien sûr dans la culture française, traversé d’un humour acide qui allège la noirceur sans la nier.
Le roman brille aussi par sa restitution de l’atmosphère de l’époque. Paris y est moite, oppressante, minée, tandis que le continent africain devient le terrain obscur des manœuvres officieuses, laboratoire des intrigues et des trahisons qui prolongent l’ombre de la République bien au-delà de ses frontières. Les salons ministériels répondent aux boîtes de nuit, les bureaux de police aux chambres d’hôtel, les deals politiques aux attentats à la bombe.
Tout est lié, tout se corrompt, tout s’effondre. Le titre du roman, emprunté à la Marseillaise, prend alors tout son sens, c’est un étendard de sang et de compromission, celui d’une France qui se rêve puissante mais se découvre gangrenée.
Il faut saluer aussi le souffle narratif de Dierstein. Son écriture, dense mais fluide, associe la rigueur du polar à la dimension tragique du grand roman historique. Il ose la longueur, et il a raison, car jamais on ne s’ennuie. Chaque page résonne d’une tension contenue, d’un sentiment d’urgence. C’est une lecture exigeante mais galvanisante, qui mêle le frisson du roman noir et la lucidité du regard politique.
On referme le livre étourdi, avec la sensation d’avoir traversé une décennie entière en apnée. Et surtout, avec une certitude, Benjamin Dierstein s’impose comme l’un des rares auteurs capables de faire du polar un outil de compréhension du réel. Sa trilogie en cours n’est pas seulement une fresque de la Ve République, c’est une radiographie du pouvoir, de ses mensonges, de sa violence et de ses illusions perdues.
On attend désormais 14 Juillet, dernier volet annoncé pour 2026, comme l’ultime déflagration d’une trilogie déjà majeure. Bleus, Blancs, Rouges ouvrait la voie, L’Étendard sanglant est levé frappe en plein cœur , reste à voir jusqu’où le dernier opus fera trembler les fondations de la République.
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