LA LOI DES LIGNES

07 mars 2021

Roman de

Hye-Young PYUN

Édité chez

Rivages

Date de sortie
3 février 2021
Genre
Roman noir
Pays de l'auteur
Corée du sud
Traduction
Lim Yeong-hee
Avis

C’est un ouvrage à l’atmosphère bien particulière que nous offre Hye Young Pyun, avec son second roman publié aux éditions Rivages, « La loi des lignes ». Pour moi, la découverte d’un nouvel auteur coréen.

Sae-oh et une jeune femme d’une grande discrétion. Agoraphobe, elle vit recluse chez son père, et si celui-ci ne la forçait pas de temps en temps à sortir pour aller faire quelques courses, elle resterait ainsi enfermée toute la journée.

Mais les quelques occasions où elle s’aventure à l’extérieur sont autant de moments de tension extrêmes, tant elle redoute la mauvaise rencontre.

Un jour où elle revient d’une de ses rares sorties dans les rues de la ville, elle découvre que sa maison a été anéantie par un incendie. Les policiers et les pompiers s’affairent encore quand on lui annonce le décès de son père.

Pour Sae-oh son monde s’écroule. Elle apprendra par la suite que son père devait de l’argent, ayant même vendu son petit commerce à cause de cela.

Très vite, elle va soupçonner un collecteur de dettes d’être à l’origine du drame. Sa colère intérieure va rapidement se transformer en soif de vengeance.

Pour Ki-Jeong les choses vont mal. Jeune enseignante qui prend son métier à cœur, elle est épuisée et a la sensation de perdre pied, à cause de l’attitude d’un de ses élèves qui ne cesse de la provoquer et de l’humilier, au point d’en venir à lever la main sur lui.

Et la nouvelle du décès de sa demi-sœur, Shin Ha-jeong, dont le corps a été retrouvé au bord d’un chemin, la pousse un peu plus au bord du gouffre. La mort, qui remonterait trois mois en arrière, serait un suicide, lié là aussi à une situation de surendettement.

Dévorée par les remords et la honte de ne pas s’être souciée de sa sœur, elle va décider de s’intéresser post mortem à son existence pour découvrir que Ha-jeong a été victime d’une escroquerie dont elle ne pouvait se remettre.

« La loi des lignes » n’est pas un roman spectaculaire. L’histoire se déroule avec une certaine nonchalance. Mais aussi surement que l’eau envahit lentement les terres après un tsunami, celle-ci finit par tout emporter sur son passage.

On découvre ces lignes de vie, bouleversées par le drame qui surgit sans prévenir, qui bouscule un quotidien pourtant bien ancré.

Alors on suit Sae-oh qui se retrouve livrée à elle-même et va devoir apprivoiser ce monde qu’elle ne voulait jamais affronter.

Malgré son apparente fragilité, elle va faire preuve d’une adaptabilité surprenante, trouvant un travail dans une épicerie où elle sera vite indispensable et un petit logement non loin du lieu de résidence de l’homme qu’elle a décidé de détruire pour venger la mort de son père.

Dès qu’elle le peut, elle épie et suit sa cible, pour tout connaitre peu à peu de son existence, attendant le bon moment pour agir.

Ki-Jeong quant à elle, revient sur les derniers mois d’existence de sa demi-sœur. Un retour sur un passé qui se fait douloureusement, sous le poids de la culpabilité.

Remonter ce chemin de vie, c’est pour elle découvrir une sœur qui n’a jamais vraiment été aimée comme elle l’aurait dû l’être, toujours laissée à la marge du cocon familiale sous l’influence de la mère.

Alors pour comprendre, elle met ses pas dans les siens, et chemine, elle aussi, vers l’engrenage qui a conduit à la mort de Shin Ha-jeong.

On baigne dans ce roman dans une atmosphère plutôt froide. Sans doute parce que les personnages, à l’image des habitants du pays, intériorisent davantage leurs sentiments qu’ils ne les extériorisent.

A cela s’ajoute une fausse impression de soumission à l’adversité.  Difficile d’avoir de l’empathie pour ces jeunes femmes qui deviennent les héroïnes d’un drame qui les dépasse et qui ne se révoltent pas.

Pourtant, au fil des pages, le lecteur pressent que finalement, QueSae-oh et  Shin Ha-jeong, livrent, chacune à leur manière, un combat déterminé contre les symboles d’une société et d’un système qui relèguent les malchanceux.

Pour nous autres qui connaissons fort mal la culture sud-coréenne, c’est une plongée vertigineuse dans une organisation sociétale qui broie les gens dès qu’ils se retrouvent en situation de faiblesse.

On emprunte aux grandes banques, qui sous-traitent aux plus petites quand les premières difficultés de remboursement apparaissent, et qui elles même font appel à des officines douteuses pour récupérer leur argent.

Ou bien, on se fait piéger par des boîtes sans scrupules qui promettent des gains juteux, mais qui, pour les atteindre vous obligent d’abord à vous endetter. Englué dans les dettes vous devenez alors un esclave des temps modernes, où vous êtes contraint d’entrainer famille et amis proches dans votre chute pour espérer vous, vous en sortir.

Dans cette mécanique redoutable, tout le monde apparait victime ou perdant, y compris ce troisième personnage représenté par le collecteur de dettes, que l’on imagine dur et violent et qui s’avère être un homme médiocre et soumis à l’officine qui l’emploie.

Hye Young Pyun est une auteure du détail, patiente mais redoutable, qui délivre un scénario qui s’apparente à une lame de fond qui se lève progressivement.

« La loi des lignes » est une critique acerbe de la société sud-coréenne, de son système organisationnel qui déshumanise et déclasse les plus fragiles, poussant parfois à des solutions extrêmes pour s’en échapper.

Bien difficile alors pour ces êtres abîmés, d’apercevoir le bleu du ciel.

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