Dans les paysages reculés de l’Épire, entre brume hivernale et silences lourds de secrets, Michalis Makropoulos ancre L’Arbre de Judas, un roman bref mais dense, au croisement du drame intime, du récit social et du roman noir.
L’auteur nous conduit sur les traces d’Ilias, un homme qui, à cinquante-trois ans, n’a plus rien à perdre , ni sa dignité, ni même ses illusions.
Ancien citadin revenu vivre chez sa mère dans le village de Delvinaki, à la frontière gréco-albanaise, Ilias est un naufragé du quotidien.
Trahi par sa femme, exclu du monde du travail, éloigné de ses filles, il revient dans ce territoire rugueux chargé de souvenirs, de non-dits et de désillusions.
Mais il ne revient pas pour renaître. Le retour au village est une sorte de chute lente, presque volontaire, vers une forme de vide.
Avec un village figé dans le froid, rongé par la corruption, les trafics frontaliers, et l’impuissance généralisée, le décors est planté.
Ici, les relations sont dictées par le passé, les liens de sang ou les dettes silencieuses.
Le récit prend un tournant brutal avec la découverte du cadavre mutilé d’une jeune femme albanaise. Le crime agit comme un révélateur dans cette communauté où l’on préfère détourner les yeux plutôt que d’agir.
Le commandant de police local, ami d’enfance d’Ilias, semble étrangement inactif, et l’enquête n’avance pas.
Ilias, lui, n’a ni les moyens ni l’envie de devenir un héros. Mais face au spectre de la victime qui hante ses pensées, et sans doute sa conscience, il se laisse happer par une quête de vérité que personne ne souhaite vraiment voir aboutir.
Peu à peu, il se transforme, non pas en détective, mais en témoin lucide d’un monde où l’on ne parle que pour se protéger.
Makropoulos décrit une descente douce et implacable dans un monde où la lumière s’infiltre difficilement. Son écriture, lente et pudique, épouse le regard d’Ilias, un homme en proie à sa propre ruine, rongé par la culpabilité et par la certitude que la justice, si elle existe encore, sera toujours entravée par les intérêts et les peurs des vivants.
Ce n’est donc pas un polar au sens classique du terme, mais plutôt une tragédie à peine voilée, où les coupables ne sont pas toujours ceux qu’on désigne, et où la victime, même morte, reste celle qui crie le plus fort.
Le titre du roman , L’Arbre de Judas , prend alors tout son sens. Il évoque à la fois le lieu d’une coexistence étrange entre les morts et les vivants, mais aussi la trahison, omniprésente dans cette histoire.
Trahison conjugale, trahison amicale, trahison sociale. Ilias, à sa manière, en porte les stigmates, trahi, mais aussi traître malgré lui, contraint à faire des choix dont il ne sortira pas indemne.
L’amitié, la loyauté, la mémoire, tout est mis à l’épreuve dans ce huis clos montagnard.
Makropoulos signe ici un roman court, mais bouleversant.
Sous la surface d’un polar rural se cache un texte profondément mélancolique, traversé par la solitude des hommes et la violence des non-dits.
Ilias n’est pas un héros , mais non plus un lâche. C’est un homme qui tente, malgré tout, de faire ce qu’il croit juste. Et c’est peut-être là, dans cette obstination fragile, que se niche une forme de rédemption.
« L’arbre de Judas » est un roman sombre et élégant, qui continue de résonner bien après la dernière page.
ACQUISITION: SERVICE PRESSE
0 commentaires