Il nous avait laissé un délicieux souvenir avec « l’horizon qui nous manque ». Le revoilà aujourd’hui avec un nouveau roman particulièrement original et surprenant.
Avec L’Envers de la girafe, Pascal Dessaint livre en effet un roman à la fois insolite et profondément humain, une fresque miniature d’un quartier toulousain où l’ordinaire flirte sans cesse avec l’extraordinaire.
Ici, point de héros flamboyants ni de suspense haletant ici, mais des personnages cabossés, obsessionnels, dont les trajectoires, banales en apparence, convergent vers un carrefour, au propre comme au figuré.
Tout commence avec Gaspard, un agent de vidéosurveillance enfermé dans une routine étouffante, bientôt ébranlée par l’annonce d’une infidélité conjugale.
À ses côtés, Lucas, stagiaire discret mais captivé par l’univers des girafes, s’y plonge avec la ferveur de ceux qui cherchent un refuge dans un monde trop bruyant.
Non loin, Pierre, conducteur de matières dangereuses, tente de garder le cap face aux engagements erratiques de sa compagne Zélie, une activiste écolo aux élans aussi sincères qu’imprévisibles.
Et puis il y a l’énigmatique « Homme à la craie », arpenteur silencieux des trottoirs qu’il marque du nom des plantes urbaines, comme un botaniste désabusé traquant les ultimes traces du vivant dans un monde de béton.
Tous vivent dans une relative proximité géographique, mais l’auteur joue brillamment sur leur éloignement affectif.
Ils se croisent, s’observent, se jaugent parfois à travers les écrans de surveillance ou les vitres embuées de leurs quotidiens respectifs.
Ce sont des vies étriquées, souvent solitaires, où chacun cherche un point d’ancrage à travers une passion dévorante, une cause à défendre, ou simplement un brin de reconnaissance.
Pascal Dessaint parvient à faire de ce modeste quartier un théâtre de tensions sourdes. Il y a dans son écriture une forme de tendresse rugueuse pour ses personnages.
Tous sont traversés par leurs failles, leurs contradictions, mais aucun n’est caricaturé. L’auteur excelle dans l’art du détail signifiant, du trait d’humour en demi-teinte, et surtout dans cette capacité à faire émerger l’émotion là où on ne l’attend pas.
Au-delà des trajectoires individuelles, c’est le tissu social qui se révèle en filigrane.
L’Envers de la girafe interroge la manière dont la ville moderne broie les liens, banalise la solitude et rend les voisinages anonymes.
Mais l’écologie n’est jamais loin non plus, thématique chère à l’auteur. Les girafes, les oiseaux nichés dans les platanes, les herbes folles dans les interstices du trottoir sont autant de symboles fragiles d’une nature en lutte, à l’image des protagonistes.
Le roman se construit comme une partition chorale. Les voix s’enchaînent, se superposent, jusqu’à ce que l’ordinaire vacille. L’équilibre déjà précaire bascule lors d’une journée où tout se télescope , et le drame, inévitable autant qu’improbable, survient.
Dessaint n’écrit pas pour rassurer. Il observe, il interroge, il suggère. Sa plume ne cherche pas l’effet spectaculaire, mais l’acuité : celle qui capte l’essence d’une époque, d’un quartier, de cette humanité bancale qu’on ne regarde plus. L’Envers de la girafe est un roman noir sans crime spectaculaire, une fable sociale sans morale assénée. Et c’est là toute sa force.
Une lecture déroutante, subtile, qui laisse une empreinte discrète mais persistante, un peu comme ces herbes sauvages qu’on voudrait arracher mais qui reviennent toujours, obstinées.
ACQUISITION : LIBRAIRIE
0 commentaires