LES CONTEMPLÉES

26 avril 2023

Roman de

Pauline HILLIER

Édité chez

La manufacture de livres

Date de sortie
9 février 2023
Genre
Policier
Pays de l'auteur
France
Avis

C’est une capsule de temps dans la vie d’un être humain, mais le genre de parenthèse qui marque à jamais l’existence.

Sans doute cette jeune Française n’aurait-elle jamais pensé en atterrissant à Tunis qu’elle se retrouverait quelques heures plus tard aux portes de la Manouba, la prison la plus célèbre de Tunisie.

Elle est assise entre deux policiers, qui la conduisent, menottée, jusqu’à cet énorme édifice qui dresse devant son regard la menace d’un monde qui s’apprête à l’engloutir.

« Il y a des tueuses, il faut faire attention. Il ne faut pas leur faire confiance. Elles te dépouilleront, elles te frapperont, ou même pire. Il y a des folles là-bas. » .

Ce sont les seuls mots qu’elle entendra avant que les lourdes portes de la prison ne se referment sur elle, coupant le cordon ombilical qui la reliait au monde et à la lumière.

Immédiatement le feu dans la tête, la panique et la peur, puis la reprise, peu à peu, du contrôle de soi.

Reste la saleté et l’odeur pestilentielle des lieux, avant d’autres portes.

Et derrière l’une d’elles, une masse humaine. 28 détenues entassées dans quelques mètres carrés.

Et elle, la nouvelle qui arrive, qui ne parle pas arabe et a pour seul bagage « les contemplations » de Victor Hugo, qui lui servira à raconter bientôt une autre histoire.

Dans la crainte et la promiscuité, elle découvre l’enfer du monde carcéral. Se fait toute petite, baisse la tête et ne s’exprime pas, car elle n’a pas envie d’être des leurs. Un reste de prétention qui se conjugue à la survie en mode transparence et renfermement sur soi.

Arrivent pourtant les premiers contacts, timides. Ses codétenues qui lui donnent des vêtements beaucoup trop grands pour elle, et cette jeune fille, Hafida, qui vient finalement lui parler, la rassurer et lui offrir à manger.

Puis ce sont les premiers mots appris, les premiers échanges qui remplacent les regards et les sourires.

C’est la découverte de ce monde en vase clos qui impose ses propres règles et ses rites, où chacune à sa place et son rôle.

Et ces mains qui se touchent. Celle d’Hafida qu’elle prend dans la sienne et qu’elle retourne instinctivement pour courir sur les creux offerts à sa caresse.

Et soudain tout bascule, tout change.

Elle y gagne une identité. Elle sera Belona, la voyante. Et toutes voudront savoir, toutes viendront puiser dans la lecture des lignes de leurs paumes la dose d’espoir qu’il leur apportera un peu de lumière et l’idée que pour elles il reste encore quelque chose à vivre.

Ces moments d’espérance ouvrent les cœurs, comme des fleurs en plein désert qui s’offrent à la pluie providentielle, et peu à peu les unes après les autres elles livrent une part de leur histoire personnelle.

Belona qui a commencé à écrire dans les espaces vides de son livre de Victor Hugo va coucher ces parcours de vie, dessiner les contours de ces portraits de femmes qui se découvrent dans toute leur pudeur et leur humanité.

Une galerie de personnages qui vous touchent, vous percutent et vous empoignent par leur fragilité, leur innocence, leur naïveté parfois, ou par la dureté de leurs actes.

Il y a Hafida, emprisonnée pour une dette d’argent, Chaifia qui passe une partie de ses nuits les yeux ouverts, Boutheina , la sage, enfermée pour avoir tué sa voisine, tout comme La Cabrane meurtrière elle aussi, à l’histoire poignante. C’est Fuite, qui se retrouve là pour avoir triché au bac, et Warda, 15 ans, violée et battue, à qui ont fait porter le poids de cette ignominie.

Des destins broyés par un système qui fait de la femme une victime permanente.

« Ces lois écrites sans nous et contre nous, ces procès tenus sans nous et contre nous, ces prisons conçues sans nous et contre nous, ne sont qu’une mascarade destinée à affirmer au détriment des unes le pouvoir des autres. Je n’espère plus rien de cette justice patriarcale qui a puni injustement ou démesurément mes camarades, et qui les a enfermées sans autre perspective de soin ou de réinsertion que celle de la repentance devant dieu. »

La jeune Française emprisonnée qui a partagé un temps l’existence de ces vies confisquées, c’est Pauline Hiller, l’auteure de ce roman bouleversant.

@denis-oliveira

Elle délivre un témoignage édifiant, passionnant et émouvant de ces êtres fautifs d’abord d’être des femmes, prisonnières d’un pays qui est pourtant, à cette époque, le plus avancé sur le plan démocratique ( les choses sont malheureusement en train de changer) mais où la religion pèse encore de tout son poids .

« …j’ai découvert là-bas ce que la violence patriarcale pouvait produire de plus abject, de plus sournois et de plus sombre. Mais j’ai compris aussi que de ces douleurs sourdes naîtra un beau jour la révolte flamboyante qui renversera le monde. »

Imprégnée de ses convictions militantes (Pauline Hillier est une ancienne Fremen) et de sa vision occidentale du monde, c’est au milieu d’ « une bande de tueuses, de voleuses et de petites délinquantes » qu’elle va recevoir « la plus magistrale des leçons d’humanité » , en compagnie de ces femmes qui n’ont pour seules richesses que leur dignité et la solidarité en partage.

C’est avec une extrême sensibilité, une grande simplicité et une tendresse qui transpire à chaque phrase pour celles qui étaient devenues une famille que Pauline Hillier rend compte de cette expérience humaine incroyable.

Avant de quitter Hafida, Chafia, Boutheina, La Cabrane et toutes les autres, on a envie de serrer chacune d’entre elles contre soi . Car pour Pauline Hillier les portes de la Manuba, cette mangeuse de femmes, ont fini par s’ouvrir.

Ne restait plus à Pauline Hillier à tenir une parole donnée un soir de détention…..

« Je me souviens alors d’une promesse faite à Boutheina, , un soir au-dessus d’un verre de Fanta orange, alors qu’elle me disait sa peur d’être oubliée de tous et effacée du monde. Je lui avais promis de ne jamais l’être de moi.

À présent nous y voilà, le temps est venu de tenir ses promesses. Si je n’ai pas le pouvoir de libérer la vieille Boutheina, de réparer les drames et les injustices, de ressouder toutes les ailes, et tous les petits bréchets cassés de la terre, ou de renverser les lois et le pouvoir des hommes…il en est un que j’ai et que personne ne peut m’enlever, celui, modeste et pourtant immense, de faire exister le temps de ces quelques pages ces femmes que plus personne ne voulait voir, sauf moi. Et de les rendre ainsi indélébiles. »

ACQUISITION: SERVICE PRESSE

6 Commentaires

  1. Evelyne GEST

    Bonjour Bruno,

    Pour moi aussi gros coup de coeur! J’ai tout aimé, la couverture, les personnages l’histoire, l’écriture. J’ai lu et relu certains passages débordant d’humanité. Et merci pour cette super chronique!! Décidément La Manufacture des Livres propose souvent des merveilles!
    Bises

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    • La petite souris

      Bonjour Evelyne ! un superbe roman en efffet, le genre a garder précieusement dans sa bibliothèque ! en plus c’est superbement écrit ! Oui la Manufacture de livres nous sort souvent de ce genre de pépite pour notre plus grand bonheur ! 🙂

      Réponse
  2. Violette

    J’avais déjà noté, il me semble que ce titre fait l’unanimité, il ne me reste plus qu’à le dénicher 🙂

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    • La petite souris

      franchement, je ne prends pas de risque à te dire que tu vas beaucoup l’aimer ! les critiques sont en effet unanimes ! tu me diras ! 🙂

      Réponse
  3. dasola

    Bonjour La petite souris, j’ai dévoré ce roman très bien construit. Bonne après-midi.

    Réponse
    • La petite souris

      Désolé ma Dasola de te répondre avec si grand retard, mais les vacances expliquent cela ! je suis très content que tu aies aimés ce romans, c’est pour moi un des meilleurs de l’année ! 🙂 te fais un gros bisous !

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