ACQUISITION: SERVICE PRESSE
Pour être honnête, voilà un roman sur lequel je n’aurai pas jeté mon dévolu, si par un pur hasard je n’avais fait la connaissance de son auteur, Pierre Luciani, quelques temps plus tôt.
Paru en cette rentrée littéraire chez un petit éditeur, Rouge Profond, que je ne connaissais pas, il avait toutes les chances de passer sous mon radar, si Pierre Luciani n’avait pas toqué à ma porte.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il a bien fait de le faire, car « Pogo » , un court roman de moins de cent cinquante pages, s’avère être une très bonne surprise !
Sans être un héros, Sauveur Moracchini fait partie de ces citoyens qui ne restent pas les bras croisés quand ils sont témoins de quelque chose qui peut mettre la vie d’autrui en danger.
Et c’est précisément là que tout bascule.
Lors d’une fête champêtre, il remarque un clown qui attire un enfant à l’écart. L’instinct prend le pas sur la réflexion et sans se poser de question il intervient, frappe et neutralise l’individu qui n’a pas eu le temps d’utiliser le taser qu’il avait en sa possession.
Mais quand les gendarmes arrivent sur place, le clown est dans le coma, et l’enfant, traumatisé, ne parle plus.
Sauveur Moracchini se retrouve dans de sales draps, mis en garde à vue avant d’être incarcéré .
Pour s’en sortir il ne pourra compter que sur l’aide d’un vieil ami de son père, ancien commissaire qui l’a vu grandir, et sur son avocate commis d’office.
Le roman s’ouvre donc sur cette bascule vertigineuse, avant de se fragmenter en une succession de voix, d’échos, et de regards. Le récit progresse en alternant les voix, comme si chaque chapitre confiait le relais à un témoin différent.
Les points de vue s’entrechoquent, se complètent, se contredisent parfois, dessinant peu à peu un visage mouvant de la vérité. Cette façon de faire, fragmentée et fluide à la fois, donne au roman un rythme organique, presque musical, où chaque voix apporte sa propre vibration.
Car ce roman n’est pas seulement une intrigue judiciaire, c’est aussi une partition. Pierre Luciani, écrivain mais aussi musicien, écrit comme on balance un morceau punk, avec des riffs secs, une tension continue et une énergie brute.
L’arrière-plan musical traverse souvent le texte. Pogo résonne de références au rock, au punk, à ces sons qui cognent et refusent la tiédeur. On devine le musicien érudit qu’est Pierre Luciani. Il ne cite pas la musique, il l’écrit et on sent combien il connaît ses accords, qu’il a vécu ce qu’il décrit.
C’est sans doute pour cela que le roman vibre autant .
Chaque voix fissure un peu plus le silence, chaque chapitre lève un coin du voile. À mesure que l’enquête avance, la vérité se dessine, lente et implacable, dévoilant l’horreur enfouie dans le parcours et le passé d’un homme que nul n’avait jamais remarqué.
Rien n’est montré de face, l’effroi s’insinue entre les lignes, discret mais dévastateur.
Pierre Luciani alterne les plans, les temporalités, les lieux, livrant une narration vibrante, tendue, où le lecteur recompose lui-même le puzzle au milieu de ce chaos indicible.
Sauveur Moracchini, personnage central , n’est pas un héros traditionnel. C’est un homme ordinaire, un peu usé, un peu trop impulsif, que son geste entraîne dans une spirale où tout le monde finit par douter de tout.
A coté de l’avocate Jasmine, du vieux commissaire Bensucem, gravitent d’autres personnages plus ou moins importants, mais qui tous existent avec une certaine densité, et qui apportent leur part de vérité.
Au final, « Pogo » est un roman bref, nerveux, qui évite les travers habituels du thriller . L’horreur, n’est jamais montrée, elle se devine, s’infiltre, s’installe, jusqu’à ce que le lecteur réalise qu’il a basculé lui aussi, quelque part entre compassion et vertige.
Un texte qui se lit d’une traite, qui sonne juste, et qui prouve qu’on peut encore écrire un roman noir qui pense, qui groove, et qui remue.
Pierre Luciani signe là un livre à la fois brutal et sensible, aussi maîtrisé qu’un solo de guitare bien placé , rageur, percutant, mais toujours juste.
Une très bonne surprise donc !


0 commentaires