PRÈS DU MUR NORD

17 mai 2025

Roman de

Petra KLABOUCHOVA

Édité chez

Agullo

Date de sortie
17 avril 2025
Genre
Policier
Pays de l'auteur
République Tchèque
Avis

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On ne soulignera jamais assez le remarquable travail éditorialiste effectué par les éditions Agullo, qui n’ont de cesse de mettre à portée des lecteurs français, de nouveaux auteurs, en particulier venus de l’Est de l’Europe. Des auteurs qui ont des choses à dire.

C’est eux qui m’ont ainsi fait découvrir, Jurica Pavicic, de nationalité croate, que j’adore et que je  considère personnellement comme un des tous meilleurs écrivain européens du moment.

Cette fois ci c’est du côté tchèque qu’ils nous invitent à porter le regard, pour une immersion dans l’histoire méconnue mais au combien terrifiante de la répression politique en Tchécoslovaquie durant les années 1950.

«  Près du mur nord » est un livre qui dénonce les horreurs d’un régime totalitaire et  leur donne un visage, une chair, une mémoire, et tisse, autour d’elles, un récit de douleur et de revanche glaçant de noirceur et d’humanité.

La construction narrative alterne deux lignes temporelles qui se répondent, se croisent, et se nourrissent.

 D’un côté, les années de plomb du communisme tchécoslovaque, où s’élabore un vaste appareil de terreur avec son lot d’arrestations arbitraires, de procès iniques, de tortures physiques et psychologiques, et de disparitions organisées.

De l’autre, une Prague contemporaine, nous sommes vers 2010 ,où les fantômes du passé n’ont jamais cessé de hanter les vivants, et où la justice des hommes n’a pas été rendue.

C’est dans cette faille que s’engouffre l’Homme au cœur troué. Ce personnage énigmatique, sculpté dans la douleur de l’enfance volée et de la mémoire interdite, devient la figure centrale d’une vengeance patiente et implacable.

Fils d’une prisonnière politique morte en détention, il a grandi dans l’ombre du silence et du déni, nourri par l’absence et la colère.

              @edward-howell

Devenu fossoyeur , il est à la fois le gardien des morts et le veilleurs de mémoire, décidant d’exhumer les vérités enterrées sous des décennies de mensonges. Son but n’est pas de tourner la page, mais de la rouvrir, pour faire émerger ce que le temps, l’oubli et les silences officiels ont tenté de faire disparaître.

L’Homme au cœur troué n’est pas un héros lisse. Son désir de justice est entaché de violence, et sa vengeance interroge les frontières entre victime et bourreau. Le roman met ainsi en tension le besoin légitime de justice et le danger de se perdre soi-même dans la haine.

Les anciens tortionnaires qu’il traque sont devenus vieux, usés, parfois séniles, mais leurs crimes, eux, n’ont pas vieilli. Ce décalage crée une sorte de malaise moral qu’ aborde avec nuance l’auteure, évitant un ton moralisateur ou toute vision simpliste des rôles de chacun.

Face à lui, d’autres personnages donnent chair à la mémoire collective. Notamment la Soignante des mourants, infirmière-chef dans une maison de retraite désargentée, qui accompagne les ultimes moments de ceux que le temps a rendus invisibles.

 Parmi ses patients, une vieille femme silencieuse au passé nébuleux, autour de laquelle se multiplient les incidents étranges, comme autant d’échos d’un passé qui refuse de mourir. Ces phénomènes, loin d’un effet de style fantastique, ajoutent au roman une tonalité gothique qui créé une tension presque palpable .

Le titre du roman, Près du mur nord, renvoie à l’espace du cimetière de Ďáblice, à Prague, où furent enfouis dans l’anonymat des centaines de corps d’opposants politiques, de femmes emprisonnées, d’enfants nés en détention.

                                      @aherrera

Petra Klabouchová s’appuie sur des archives, des témoignages, et des faits historiques avérés pour faire ressurgir ce chapitre sinistre de l’histoire tchèque, en évitant toutefois l’écueil de la simple reconstitution .

Loin d’un documentaire romancé, son récit conserve une forte dimension littéraire, portée par une écriture concise, parfois rude, mais toujours profondément humaine, et qui lui permet de peindre des portraits terriblement émouvants.

On retiendra en particulier la manière dont elle donne une voix aux femmes emprisonnées, souvent très jeunes, parfois enceintes, et soumises à des traitements inhumains.

À travers elles, c’est tout un pan oublié de la mémoire d’un pays qui reprend forme. Celle des résistances silencieuses, des refus d’obtempérer, des maternités brisées par la cruauté institutionnalisée.

Certaines ont refusé de signer de faux aveux, d’autres ont été trahies par leurs proches, par leurs enfants parfois, dans un monde où la moindre déviance suffisait à vous faire disparaître.

L’atmosphère du roman est dense, sombre, parfois oppressante, mais elle est aussi traversée d’éclats de tendresse, de fidélité, de gestes simples qui résistent à l’inhumanité.

@alain-frechette

 C’est dans cette tension permanente que se déploie toute la richesse du texte qui est aussi une méditation sur la mémoire, le deuil, et la transmission.

Près du mur nord est un roman nécessaire. Douloureux, sans doute, mais nécessaire.

 Parce qu’il éclaire une période et un sujet trop peu abordée en France, et  parce qu’il donne une voix aux oubliés.

Mais aussi parce qu’il rappelle, dans un monde où les falsifications de l’Histoire ressurgissent à chaque coin d’écran, que l’oubli est le premier pas vers la répétition.

Petra Klabouchová entre avec ce roman dans le cercle restreint des écrivains capables de faire parler les morts sans leur voler la parole.

 

 

 

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