Paru en France au début des années 1950 et récemment réédité, La bête qui sommeille de Don Tracy est un roman noir qui plonge le lecteur dans la réalité américaine des années 30, où sévit un racisme ordinaire, dramatique et profondément enraciné.
L’intrigue se déroule dans une petite ville côtière du Maryland, baptisée Mallsbury Crossing, une bourgade de pêcheurs accablée par le froid et les vents hivernaux.
Dans ce lieu modeste, la routine est brutalement bousculée quand un jeune Noir commet un homicide sous l’effet de l’alcool .La victime est une femme blanche, prostituée de son état.
Dès lors, un engrenage funeste se met en place, et la population , encouragée par les préjugés et la méfiance enracinés depuis des générations, bascule rapidement dans la violence collective.
L’intelligence de Don Tracy, c’est de ne pas donner à son protagoniste noir, les traits d’un bouc émissaire innocent, ni de chercher à dépeindre son acte comme excusable.
Au contraire, il rappelle qu’il ne saurait y avoir de raisons à relativiser le meurtre d’une femme, quelle que soit sa condition.
Plutôt que de se concentrer sur la culpabilité ou l’innocence, il fait plutôt le choix raconter l’embrasement d’une foule, prête à se faire justice elle-même et à abattre le coupable avant tout procès.
Cette soif de vengeance se nourrit d’une rancœur latente et de la peur de l’Autre.
Si le lecteur ne peut manquer d’éprouver de l’effroi devant cette haine collective qui surgit, il est tout aussi frappant de constater l’hésitation ou la passivité de ceux qui pourraient entraver le processus.
le shérif, soucieux de conserver sa place, semble réticent à braver l’opinion publique. La presse locale hésite à condamner ouvertement le lynchage, de crainte de s’aliéner les habitants. Des militants politiques, venus exprimer leur indignation, finissent par reculer devant la violence ambiante.
Personne ne sort grandi de cette frénésie punitive, même les défenseurs de la cause noire, ou ceux dont l’humanisme paraît d’abord sincère, révèlent des failles ou un manque de courage.
Le talent de Don Tracy, dans ce portrait à la fois glaçant et sans concession, se révèle dans cette mise en lumière de la défaillance morale de tout un chacun.
Les personnages, bien qu’inscrits dans le contexte social de l’époque , ne sont pas dépeints comme des individus ayant une psychologie complexe, c’est le moins qu’on puisse dire.
De l’homme noir accablé par l’injustice et la ségrégation, à la femme blanche jugée “inférieure” en raison de son statut de travailleuse du sexe, en passant par le notable hésitant, inquiet à l’idée de perdre son autorité, ils incarnent plutôt des archétypes symboliques .
Ce parti pris renforce l’impression d’un drame inexorable, où la raison semble impuissante face à une collectivité en furie.
Chaque personnage devient alors un engrenage d’une machine implacable, lancée à toute vitesse vers une spirale de vengeance.
Par ailleurs, l’auteur ne se limite pas à dénoncer le racisme institutionnalisé dans une grande partie des Etats-Unis, ni à peindre une Amérique ségrégationniste.
Il met en évidence la part instinctive et animale qui habite la conscience collective, cette « bête » tapie en chacun, prête à se manifester sous l’effet des préjugés, de la peur ou de la panique.
Et lorsque les verrous moraux sautent et qu’aucune autorité ne s’interpose, la cruauté surgit, parfois chez des gens qui, isolément, ne seraient pas passés à l’acte.
Bien que datant des années 50, La bête qui sommeille conserve toute son acuité. Certes les temps ont changé, mais la possibilité d’un glissement vers une barbarie collective reste un danger toujours possible.
La lecture de ce roman suscite une fascination pour la manière dont l’auteur reconstitue la montée en tension au sein de cette petite ville, tout autant qu’elle effraie devant l’enchaînement logique qui précipite le lynchage.
Il ne s’agit pas d’un polar à rebondissements, où l’intrigue se résoudrait dans un ultime sursaut de justice .
Au contraire, le roman va jusqu’au bout de la violence, n’offrant au lecteur guère plus que la possibilité de constater, impuissant, l’horreur à l’œuvre.
L’histoire est brève, mais son effet est durable : le lecteur referme l’ouvrage avec un sentiment de malaise, conscient que la fureur collective, une fois réveillée, n’a pas de limites.
Un livre âpre, essentiel, dont la modernité force à réfléchir sur l’inhumanité tapie au cœur des hommes.
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Salut la petite souris
Super chronique. C’est le roman de la Série Noire qui m’a le plus marqué avec le facteur sonne toujours deux fois de James Cain.
Je voulais savoir, il y a une nouvelle traduction ?
Bonsoir Laurent. Merci pour le compliment ! Dans la page de garde du livre il est précisé traduction de l’anglais ( Etats-Unis) de Marcel Duhamel et Jacques Laurents Bost, révisée par Michael Belano , avec une préface inédite de la dernière personne que je viens de citer. donc plutôt qu’une nouvelle traduction, davantage un dépoussiérage de celle de Duhamel.
D’accord. Bon bah falloir que je passe à la caisse car j’ai la vieille version. J’aime trop ce texte et une traduction révisée ne fait sans doute pas de mal à ce récit.
tu me diras si tu as senti une différence ! bonne lecture ! 🙂
Oui je te ferai un retour 😉
Là je suis dans la deuxième enquête de l’inspecteur Soneri et ensuite je vais enchaîner avec le second volet de la trilogie de Frédéric Paulin. Après ça je relirai la bête qui sommeil que j’ai acheté hier 🙂
Sympa cette nouvelle collection des classiques de la Série Noire.
oui c’est moi aussi j’aime beaucoup ! fort utile pour compléter sa collection des grands classiques du genre ! 🙂