LA FEMME DU SECOND ÉTAGE

14 mai 2023

Roman de

Jurica PAVICIC

Édité chez

Agullo

Date de sortie
15 septembre 2022
Genre
Roman noir
Pays de l'auteur
Croatie
Traduction
Olivier LANNUZEL
Avis

En 2021 j’avais eu l’immense bonheur de découvrir et de chroniquer le premier roman de Jurica Pivicic publié en France. Un véritable coup de cœur, le seul du reste de cette année-là. Celui-ci a d’ailleurs raflé de nombreux prix.

En 2022, Jurica Pivicic nous est revenu avec un nouveau titre, « la femme du second étage ».

Je remercie au passage mon ami et grand complice Pierre Faverolle de l’excellent site Black Novel, d’avoir eu la gentillesse de me prêter ce roman .

Cette fois-ci c’est à un drame intime que nous convie Jurica Pivicic .

Cela fait onze ans qu’elle est en prison, enfermée pour meurtre. Onze ans d’une existence réglée comme du papier à musique, où elle se lève très tôt le matin pour rejoindre les cuisines et préparer le repas des détenues.

Une vie qui lui va bien, sans à coup, sans surprise, et d’une grande monotonie. Mais sa vie antérieure était-elle si différente ?

Bruna est une femme simple, qui n’aspire qu’à la tranquillité. Plus jeune, elle n’avait d’autre ambition que de trouver un travail, de fonder une famille, et de se contenter de ce bonheur ordinaire.

Pourtant elle est ici, dans cette prison de Požega. Comment en est-elle arrivée là ?

Pour le comprendre, l’auteur nous fait alors découvrir l’anatomie de la tragédie qui a conduit cette femme derrière les barreaux.

Dans la vie, des décisions importantes peuvent n’avoir aucune conséquence, alors que le choix le plus anodin qui soit, peut lui, avoir des répercussions incroyables sur le déroulement d’une existence.

C’est sans doute ce que se dit Bruna en repassant le fil de ses dernières années.

Serait-elle en détention si ce jour-là elle n’avait pas accepté d’accompagner son amie Suzanna à cette soirée où elle n’avait pourtant pas prévu de se rendre initialement ?

C’est là qu’elle va faire la connaissance de Frane. Entre eux le courant passe immédiatement. Quelques rencontres et l’affaire est entendue. Les deux amoureux se marient.

Les jeunes époux s’installent alors dans la maison familiale de Frane, construite par son défunt père. Ils habitent le deuxième étage de la bâtisse, quand le reste de la demeure est occupé par sa mère , Anka.

Débute donc une cohabitation que n’avait pas choisie Burna, et qui va se faire de plus en plus pesante.

@oscar-ivan-esquivel-arteaga

Car le couple n’a pas véritablement d’intimité. Les repas se prennent en commun, Burna se voit devoir participer aux tâches ménagères et à l’entretien du jardin.

Quant à Frane, marin au long court, il est très souvent à la mer, laissant les deux femmes en tête à tête.

Entre elles peu de mots échangés, mais pas de conflit non plus. Juste cette domination qui insidieusement anesthésie son existence. Docile, Bruna s’adapte à cette belle-mère omniprésente, et à la solitude qui accompagne les absences de son mari.

Et quand Anka fera un AVC qui la rendra totalement dépendante de sa belle-fille, loin de sortir Burna de cette emprise, c’est une nouvelle camisole qui l’enserrera, obligée de s’occuper d’elle, car elle a perdu son autonomie et ne peut plus s’exprimer.

Jusqu’au jour où, dans un abri au fond du jardin, dans une vieille boîte en fer , elle va trouver la clé qui va lui permettre de se libérer de ce carcan domestique, mais la conduira aussi devant ses juges.

Jurica Pivicic nous narre ce destin d’une femme ordinaire devenue meurtrière et c’est passionnant à lire.

La vie d’avant la rencontre avec Frane, celle sous le toit d’Anka, l’ assassinat, l’enquête et le procès qui s’en suivra, les jours en prison et les visites de sa mère et de son amie Suzanne qui s’estompent.

Il y a dans ce roman une nonchalance incroyable, qui à la fois souligne la banalité de l’existence de cette femme, mais dont il se dégage aussi, ce sentiment puissant que rien ne

@gutife

peut arrêter la tragédie d’un destin quand celui-ci est en marche.

Cette nonchalance on la retrouve jusque dans le choix qu’elle opère pour finalement se débarrasser de sa belle-mère, en optant pour une mort lente par empoisonnement.

La vie de Burna s’écoule comme un ruisseau, s’adaptant aux obstacles rencontrés, mais qui va inexorablement à la rivière.

À travers de nombreux Flaskback dans l’existence de son héroïne, Jurica Pivicic permet à son lecteur d’essayer de trouver les rouages qui ont conduit au drame, quand Burna elle, se demande si un autre chemin aurait été possible.

Ce qui frappe celui-ci, c’est l’absence de rupture dans ce destin. Que ce soit libre ou enfermée, la monotonie des habitudes qui rythme ses journées reste la même.

C’est ce qui rend Burna à la fois étrange, fascinante et énigmatique. On ne peut que s’attacher à elle , tout en ayant le plus grand mal à la considérer comme une meurtrière.

Jurica Pivicic est un remarquable portraitiste de femmes (qui semblent occuper visiblement une place centrale dans son œuvre) outre celui de Burna, on retrouve celui de sa mère,obnubilée à refaire sa vie, celui de Suzanna qui aura au finale une existence plus malheureuse que celle de son amie emprisonnée.

Il décortique méticuleusement, presque comme un scientifique, le destin tragique de son personnage pris au piège, victime de la servitude familiale, dépossédée de sa liberté et de la moindre de ses aspirations. Et ce avec une écriture acérée, qui arrive à diffuser subtilement un sentiment de malaise.

Mais jusqu’au bout, Burna gardera une part de mystère.

Sans suspens, sans rebondissement, Jurica Pivicic , nous offre avec «  la femme du deuxième étage » un roman terriblement envoûtant, et nous prouve après « l’eau rouge » que nous avons trouvé là, un très grand auteur.

6 Commentaires

  1. Pierre Faverolle

    Salut mon ami … de rien, c’est un plaisir de te passer ce formidable roman. BIZ

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    • La petite souris

      😉 😉

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  2. Nico

    Hello la petite souris,

    Merci pour cette très belle chronique de ce livre poignant.

    Agullo est définitivement une belle maison d’édition !

    Réponse
    • La petite souris

      Ah oui c’est sans aucun doute une des meilleures maison d’édition aujourd’hui ! 🙂

      Réponse
  3. Violette

    « une nonchalance incroyable » : ça me plaît 🙂 J’avais beaucoup aimé L’eau rouge !

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    • La petite souris

      Bonsoir Violette ! Si tu as aimé  » l’eau rouge », alors tu va adorer  » la femme du second étage » !. Cet écrivain est pour moi une des plus belles révélations de ces dernières années ! c’est te dire 🙂 surtout si tu le lis, viens me dire ce que tu en auras pensé , je suis impatient de savoir ! 🙂

      Réponse

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