LE PETIT BLEU DE LA CÔTE OUEST

13 avril 2022

Roman de

Jean-Patrick MANCHETTE

Édité chez

Folio policier

Date de sortie
16 octobre 2014
Genre
Policier
Pays de l'auteur
France

« Georges Gerfaut est un homme de moins de quarante ans. Sa voiture est une Mercedes gris acier. Le cuir des sièges est acajou, et de même l’ensemble des décorations intérieures de l’automobile. L’intérieur de Georges Gerfaut est sombre et confus, on y distingue vaguement des idées de gauche. ».

Trois heures du mat. Il roule à tombeau ouvert sur le périphérique, comme il aime à le faire parfois, du bourbon et des barbituriques dans les veines. Sur un air de Jazz, il avale l’asphalte à bord de sa Mercédès, avec pour unique envie celle de ressentir quelque chose.

Il s’appelle Georges Gerfaut. Un de ces nombreux Parisiens anonymes qui peuplent la capitale. Un monsieur tout le monde qui passe inaperçu. Un boulot de cadre commercial, une femme, deux gosses. Une vie tout ce qu’il y a de plus ordinaire ancrée dans une routine pesante et usante.

Pourtant, ce n’est plus un homme ordinaire. Peut-on l’être encore quand on vient de tuer deux personnes qu’on ne connaissait même pas ?

Pouvait-il imaginer un seul instant qu’en s’arrêtant un jour sur le bas-côté d’une nationale pour porter secours à un type visiblement victime d’un banal accident de la route, qu’il se retrouverait très vite avec deux tueurs à ses trousses ?

C’est pourtant bien ce qui est arrivé à George Gerfaut. Quelques jours à peine après avoir déposé l’individu blessé devant un hôpital, alors qu’il entame ses vacances familiales à Saint-Georges-de-Didonne en bord de mer, on va intenter à sa vie.

Par miracle il s’en sort. Mais alors que logiquement il devrait se précipiter à la gendarmerie pour signaler les faits, Gerfaut préfère s’enfuir, laissant derrière lui sa femme et ses gosses.

Commence alors un parcours qui ressemble à la fois à une errance et une traque qui va durer plusieurs mois. Acculé, l’instinct de survie de Gerfaut va le pousser à rendre coup pour coup, à ne pas faiblir face au danger, à l’affronter comme un animal.

Et la plongée dans la violence va être spectaculaire, comme dans cette scène mémorable de la station-service.

Paru en 1976, « Le petit bleu de la côte ouest » est une des œuvres majeures de J P Manchette, dont on peut dire que l’adaptation cinématographique ne lui rendit pas franchement hommage ( «  trois hommes à abattre » avec Alain Delon) .

Caractéristiques de ce que l’on va appeler le néo-polar, dont l’auteur est un des pères fondateurs, les romans de JP Manchette vont marquer l’entrée du roman noir dans la critique sociétale et l’engagement politique.

C’est en s’inspirant d’un titre de presse pris à la volée, traitant du « malaise des cadres », que JP Manchette a eu l’idée d’écrire l’histoire de Gerfaut.

Un homme qui s’use à la routine d’une existence sans relief, pris d’une forme de désespoir lancinant devant l’absurdité lassante d’une vie quotidienne qui tourne en rond.

À coup de petits flash-back, Manchette reconstitue le parcours de cet homme ordinaire, qui à partir d’un fait banal va se retrouver précipité dans une dérive meurtrière.

Gerfaut tourne sur le périphérique comme il tourne en rond dans la vie. Son histoire sera aussi une grande boucle qui le ramènera à son point de départ après cette virée violente qui somme toute, lui aura permis de s’échapper et de se sentir enfin vivant. Mais ici point de happy end à l’américaine.

À travers ce récit on retrouve la marque de fabrique de l’écrivain et de ce nouveau courant littéraire qui émerge dans les années 70 .

Manchette aime à se détacher de son personnage, non sans une certaine ironie, à exploser son parcours.

L’auteur fixe l’attention sur l’action . Il n’accorde volontairement aucune profondeur psychologique à son personnage, le dépouille de toute introspection. Car c’est par l’action elle-même que ce dernier se traduit, et qu’affleurent parfois ses émotions, que le lecteur vigilant saura peut-être deviner.

À l’heure des thrillers, des techniques d’investigation sophistiquées, de l’omniprésence de la science dans la littérature policière d’aujourd’hui, il est jouissif de se plonger ( ou de se replonger) dans la sobriété moderne des romans de Manchette.

Une écriture d’une concision froide, mais d’une grande élégance, des dialogues sobres, mais redoutablement efficaces, un humour parfois absurde et mordant font la signature de cet immense auteur français qui a fait rentrer le polar français dans sa modernité par sa capacité à décrire la noirceur du monde qui nous entoure et à y impliquer son lecteur.

On ne peut pas se réclamer d’être un passionné de roman noir si on n’a jamais lu JP Manchette !

« Le petit bleu de la côte ouest » est un  bijou qu’il convient de découvrir ou redécouvrir. Encore aujourd’hui, il garde toute sa fraîcheur et toute sa force évocatrice.

 

ACQUISITION: ACHAT LIBRAIRIE

6 Commentaires

  1. Nico

    Bonsoir,

    Merci pour cette cette superbe chronique sur « Le petit bleu de la côte Ouest ».

    Il faut tout lire chez Manchette, c’est formidable.

    Il existe une adaptation du petit bleu en BD avec Tardi qui est super.

    Je conseille aussi très vivement de lire les « Lettres du mauvais temps », qui regroupe sa correspondance (il n’y a que les lettres envoyées par Manchette et pas les réponses) où il évoque ses problèmes de santé, d’argent, son rapport avec les éditeurs, avec les producteurs de cinéma et où on peut constater sa grande humilité.
    On voit aussi qu’en 1985 déjà, il y avait du démarchage agressif de la part des banquiers. Cerise sur le gâteau, il y a des échanges avec les immenses Donald Westlake et James Ellroy !

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    • La petite souris

      bonsoir Nico ! tu as entièrement raison ! il faut tout lire Manchette ! c’est un incontournable pour un vrai amateur de noir digne de ce nom ! et tu fais bien de rappeller l’ouvrage  » lettres du mauvais temps » qui sont également passionnantes à lire et permettent de mieux connaître cet écrivain majeur ! 😉

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  2. LIONEL

    Je suis entièrement d’accord avec Nico et toi Bruno…….Je n’étais pas tenté par lire cet opus ( va savoir pourquoi ??? ) puis de lire (ou relire) le commentaire de Nico et ta chronique ‘souris’ et enfin d’avoir terminé le POLAR de Guérif, je crois que cela m’a mis en appétit……………….Je vais le lire et reviendrais pour faire un petit commentaire….

    je termine un petit « Crombie », pas du grand noir mais c’est relaxant……………….et j’attaque ce petit Manchette

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    • La petite souris

      Bonjour Lionel, désolé de te répondre un peu tardivement mais tu t’en doutes entre le boulot et le site c’est un peu chargé en ce moment.
      Je suis très heureux que tu donnes sa chance à ce roman et cet auteur ! Content aussi que c’est suite aussi à un commentaire de Nico que tu t’es décidé ! les commentaires servent aussi à cela même si les échanges entre visiteurs sont hélas trop rares. 😉

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  3. LIONEL

    Je t’ai déjà écris un premier commentaire, voici le second :

    Bonjour Bruno et bonjour à tous……Un grand grand merci à toi pour ton blog (j’espère employer le terme exact), plus j’y adhère et plus je fais des découvertes magnifiques, alors MERCI…..J’ai essayé de lire d’autre forum je ne te le cache pas, mais aucun ne m’attire, ou trop collectif (pour ne pas dire commercial) trop orienté ou trop NUL simplement, la course aux Abonnés !!!! dans quel but ?
    Reste si possible et aussi longtemps que possible attractif avec de Vraies pépites ou simplement des rappels d’anciens auteurs tombés dans l’oubli, c’est formidable, bref c’est mon Opinion……………..J’assume

    Alors ===== Formidable, merci Souris et merci Nico (son commentaire) j’avoue, jamais je n’avais lu de Manchette, son coté Anar, extrême gauche, m’avais certainement rebuté dans le passé (préjugé quand tu nous tiens), mais comme «il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis», je viens de lire mon premier Manchette Ouah, cela décoiffe, jamais lu ce genre d’écriture, beaucoup d’auteurs actuels devraient en prendre de la graine, belle leçon pour les jeunes écrivains (et moins jeunes) !!!! c’est assez bluffant, ce livre de quelques dizaines de pages et un petit chef d’oeuvre, Style, rapidité, description et j’en passe….. impeccable, rien ne manque, il y a juste l’essentiel, là ou je lis des 400 ou 600 pages (dont la moitié à rallonge) ce petit bouquin est Parfait…..
    Rien à voir avec le Film, rien à voir avec la plupart des auteurs actuels Merci Bruno pour cette très belle Chronique

    Au grand plaisir…………………Amicalement Lionel

    J’ai lu Guérif (excellent) je vais lire aussi les chroniques de Manchette je verrais bien, n’hésites pas à me donner des informations sur d’autres découvertes ou rappels d’anciens auteurs…….

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    • La petite souris

      Oulala merci pour cet élogieux commentaire ! j’espère tenir encore quelques années et je ne compte pas changer ma manière de faire. Sans doute par contre j’irai davantage puiser dans les romans parus depuis quelques temps, revisiter quelques classiques ou quelques auteurs, tout en gardant un oeil sur les nouveautés et en en chroniquant.

      Je suis en tout cas très heureux de ta confiance et que tu aies donné sa chance à Manchette à travers la lecture de ce roman. C’est toujours un plaisir de découvrir un auteur et c’est un peu aussi pour cela que j’ai crée ce blog. Donc l’objectif est atteint ! Pour le reste ne t’inquiète pas, je n’hésiterai pas lors de nos échanges à te signaler des titres ou des auteurs. Je commence à cerner tes goûts en la matière ! 🙂

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