LA CHUTE DE MONSIEUR FERNAND

11 mai 2014

Roman de

Louis Sanders

Édité chez

Seuil

Date de sortie
6 février 2014
Genre
Policier
Pays de l'auteur
France

Seul le haut du corps dépassait de la poubelle. Une chemise blanche à jabot et une veste en velours multicolore à motifs ronds et triangulaires. Les bras du mort pendaient à l'extérieur comme ceux d'une maisonnette à fil. De grosses tâches rougeâtres qui viraient au marron parsemaient ses habits et la peau de son visage. Il avait un œil crevé, la tête rejetée en arrière et la bouche ouverte.

C’est de cette manière un peu brutale que le lecteur fait la connaissance du personnage principal du dernier roman de Louis Sanders . Un homme mort dans une poubelle, le corps transpercé de 17 coups de pic à glace, et jeté là  comme un vulgaire déchet humain. Nous sommes à la fin des années 70.

Mais qui était donc ce monsieur Fernand, que ne manque pas de reconnaitre le commissaire Cabrillac en arrivant sur place ,et qui lui arrache un sourire quand on lui demande si la victime était connue?

C’est bien pour le découvrir que Louis Sanders invite son lecteur à remonter dans le passé de ce personnage et à revivre à ses côtés,  les derniers mois d’existence de cet homme à la personnalité et au parcours hors du commun.

Car M. Fernand n’est effectivement pas n’importe qui. Si son étoile ne brille plus au firmament comme autrefois, s’il ne connait plus la vie fastueuse qui fut la sienne à l’époque où il côtoyait les gdufyrands de ce monde, il lui reste de sa renommée flétrie, sa Rolls-Royce, son long manteau à poils noirs en peau de gorille, son chapeau à large bord, et l’admiration béate de certains des habitants du quartier.

En son temps notre homme était un escroc hors pair, revendant à travers le monde des faux tableaux de grands maîtres, peints par quelques complices talentueux qu’il employait pour son compte. C’est grâce à cela qu’il a pu approcher le gotha qu’il dupait allègrement en lui refourguant les objets de sa supercherie. Une époque faste pour M Fernand, où le champagne et les Rolls-Royces qu’il collectionnait se conjuguaient avec des noms prestigieux comme celui de  Marilyne Monroe James Dean ou Henry Miller, auprès desquels il aimait à s’afficher . Mais les choses ont bien changé depuis, ses artistes faussaires et complices se sont envolés ou sont en prison.

barAlors M. Fernand s’accroche à ce passé révolu, donne le change pour maintenir l’illusion que rien n’a changé, qu’il reste une personnalité à part et qu’il a encore un réseau de relations à faire pâlir d’envie le moindre de ses interlocuteurs. Et c’est auprès des habitants du 11 boulevard de Clichy qu’il trouve son meilleur public, dont il finit par parasiter l’existence, quand il n’est pas à parader au Favoris, une boîte de strip-teaseuses courue de la capitale.

Alors on savoure sa présence, ses bons mots, ses souvenirs pittoresques, son charme et ses bonnes manières, mais on s’accommode aussi de sa jalousie , de ses colères homériques et de son penchant pour l’alcool.

Pourtant peu à peu quelque chose se fissure derrière ce fard mondain et le spectacle permanent d’un homme qui tient en équilibre sur le fil de sa légende surannée. Parfois le mirage s’estompe subrepticement, laissant entrevoir à ceux qui le Capturecôtoient , les coulisses de carton pâte de cette existence de paillettes, de faux semblants et de tricheries.

Assez pour que s’installe progressivement  la désillusion, l’agacement, l’ennuie et la colère chez son public autrefois fidèle et ébloui.

Quand un caïd corse commande à M. Fernand un faux tableau de Dufy, se rallumera en lui la flamme de l’escroc, comme une promesse d’un nouveau départ. D’autant que s’offre à lui une opportunité incroyable. Mais ce que ne sait pas Monsieur Fernand, c’est qu’il a déjà glissé de son fil, qu’il a perdu l’équilibre depuis longtemps , et que sa chute est déjà entamée. Et elle sera fracassante.

Louis Sanders nous ramène dans le Paris des années 70 à travers un roman truculent. A la fois drôle, émouvant , emprunt de mélancolie, avec un zeste d’acidité, il nous offre une peinture originale des mœurs et de cette vie parisienne de bohème , à travers une galerie de personnages particulièrement colorés:

Une baronne toxicomane, un américain aboulique et déserteur ,un cabot prénommé Jouvencelle, un chanteur qui cherche son succès, un amant homosexuel garde du corps , un artiste peintre relégué en fond de cour, sans oublier le commissaire, à la vie personnelle et au passé professionnel des plus cocasses. Autant de personnages d’une farandole urbaine, mis à nu progressivement par l’auteur, et qui donne au roman tout son relief et toute sa saveur acidulée.

Louis-Sanders

Louis Sanders

Dans cet univers de la nuit, de putes, de drogués de flambeurs et de travelos, Louis Sanders parvient avec talent à faire transpirer cette atmosphère si particulière, et à nous livrer une comédie humaine des plus réussies.

Ce roman est inspiré de la vie d’un escroc qui a réellement existé, Fernand Legros, mort lui de mort naturelle, dans son lit, mais dont l’auteur s’est nourri de ses exploits pour bâtir son conte urbain.

Le lecteur ne fera qu’une bouchée des 229 pages de ce court roman, mais en gardera longtemps la couleur en mémoire.

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10 Commentaires

  1. Yvan

    Allez, je mentirais si je disais que le pitch m’attire, mais ton excellent billet arriverait presque à me faire changer d’avis 😉

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    • La petite souris

      presque….je n’y suis donc pas arrivé, dommage ! 😉

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      • Yvan

        non, mais ce n’est pas de ta faute 😉

        Réponse
        • La petite souris

          je l’aurai un jour ! je l’aurai !!! 😉 😉 ( pas de lézard Yvan, mais tu passes à côté d’un chouette roman quand même héhé ^^)

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  2. Oncle Paul

    Bonjour Bruno
    Un excellent roman inspiré en effet de la vie d’un personnage célèbre. C’était le premier livre de Louis Sanders que je lisais et j’ai été favorablement surpris
    Amitiés

    Réponse
    • La petite souris

      même impressions que toi Paul ! un roman original, qu’on savoure à chaque page ! ca fait du bien de lire de temps en temps ce genre de livre ! Amitiés

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  3. Nath sous les pavés la page

    Tu m’as l’air emballé dis moi et effectivement 225 pages c’est juste une mise en bouche 🙂

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    • La petite souris

      raison de plus pour ne pas s’en priver 😉 surtout pour une lectrice invétérée comme toi ! 🙂

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  4. Runbabook

    Hello Ô Erudit Souriceau ,

    La perfusion polardeuse a momentanément rempli son office : la babook est ranimée …
    Je ne connais pas du tout cet auteur et je ne serai pas , spontanément , allé vers ce style mais la manière dont tu le présentes incite à la découverte . Y aurait-il du Michel Audiard en lui ? C’est un argument qui ferait définitivement pencher ma balance .

    Réponse
    • La petite souris

      ah ! plus que Michel Audiart je dirai plutôt qu’il y a du Simenon ou du Clouzot dans le roman de Sanders. j’espère que cela finira de te convaincre !! 🙂

      Réponse

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