Il n’aura pas fallu attendre bien longtemps pour tomber sur ce qui sera sans aucun doute, un des romans les plus marquants de cette année 2024.
Avec « Qui après nous vivrez », Hervé Le Corre, maître incontesté du roman noir français, nous offre une dystopie dans laquelle il nous projette dans un avenir qui pourrait bien être le nôtre.
Et autant dire que nous avons de sérieux soucis à nous faire !
Si parfois on affirme au sujet de certains auteurs qu’ils sont des visionnaires, croisons les doigts que pour ce ne soit pas le cas avec ce magnifique écrivain !
« Qui après nous vivrez » nous plonge dans une noirceur opaque, à travers le destin de trois générations de femmes, qui vont assister et vivre l’effritement, la décrépitude puis l’effondrement généralisé de l’humanité, pour errer dans un monde livré au chaos et à la loi du plus fort.
Des épidémies, des guerres, une nature dégradée par la main de l’homme, une planète en surchauffe. Ça vous rappelle quelque chose ?
Nous sommes en 2051 , l’humanité est aux abois. La belle mécanique du progrès s’est enrayée et a laissé la place à la pénurie, la maladie, la famine, et à la crise énergétique. La loi martiale est instaurée, mais les émeutes sont monnaie courante, et la répression policière féroce.
Rebecca et Martin vivent avec leur bébé Alice dans un appartement, unique cocon où ils se sentent véritablement en sécurité. Leur vie est rythmée au gré des coupures d’électricité et des tickets de rationnement.
Ce jour-là, le courant disparait à nouveau. Il ne reviendra plus. C’est la grande panne, et le début du chaos. Martin, qui était parti travaillé ne rentrera pas non plus.
Reste l’angoisse de ne pas savoir, et la peur de ce que l’avenir réserve, qui vont pousser Rebecca à fuir avec sa fille et sa voisine Anaïs, cette ville qui sombre dans la violence.
Des années ont passé , et c’est Alice devenue mère à son tour, d’une petite Nour, que l’on retrouve aux prises avec une communauté autocrate et militarisée, où ceux qui ne portent pas les armes sont asservis, et où la femme n’a de valeur que dans ce qu’elle peut offrir aux instincts primaires des hommes.
La fuite encore.
Le temps égraine les années, et cette fois c’est Nour et sa fille Clara qui errent dans un pays livré à la barbarie . Accompagnées de Marceau et son fils Léo, ils sont à la recherche de la bande qui a violenté Clara, et d’un endroit où ils pourraient ensuite vivre en paix, dans ce monde détruit, ravagé par les incendies, et qui ne renaitra sans doute jamais de ses cendres.
Hervé Le Corre signe un roman bouleversant, flippant , déprimant aussi , et assurément des plus sombres.
Un récit complètement déstructuré à l’image de ce monde en déliquescence qu’il nous donne à lire, servi par une écriture ciselée et une galerie de personnages féminins sur lesquels l’auteur semble faire porter la petite flamme fragile et pas encore tout à fait éteinte, du reste de notre humanité.
Sur trois générations et un peu moins d’une centaine d’années, elles vivront cette société qui s’affaisse et qui tente de sauver ce qui peut l’être en se livrant au totalitarisme et au fanatisme religieux.
Et même si ici ou là, de petites communautés tentent de survivre en autarcie, en fondant leur relation sur l’entraide et la solidarité, le bruit et la fureur de ce monde revenu à l’âge féodal auront tôt fait de tout détruire.
Certains diront peut être que l’auteur nous imagine un destin commun qui ne laisse aucune échappatoire à nos civilisations au bord du gouffre, et qui foncent tête baisser vers ce futur qui se conjuguera au passé quand tout sera définitivement perdu.
Pourtant, dans cet univers d’apocalypse qu’il dépeint, on enfante encore ( Rebecca, Alice, Nour ) .
Celles-là mêmes qui sont les premières victimes de ce chaos généralisé sont aussi celles qui portent ce qu’il reste du monde, avançant face aux ténèbres, guidées moins par l’espoir que par l’amour, gardant au fond du cœur, comme un feu sacré, une parcelle d’humanité qui les aide à affronter la tempête.
« Qui après nous vivrez », dont le titre est inspiré d’une tirade de « la ballade des pendus » de François Villon, est sans doute un des romans les plus durs et les plus noirs d’ Hervé Le Corre.
Roman de l’anéantissement, de la violence et de la sauvagerie, il porte pourtant en lui, par les couleurs de son écriture magnifique une lumière salvatrice , face ce futur promis.
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