SOLAK

26 septembre 2021

Roman de

Caroline HINAULT

Édité chez

Rouergue

Date de sortie
5 mai 2021
Genre
Roman noir
Pays de l'auteur
France

Allez savoir pourquoi, j’ai toujours été attiré par les romans se passant dans le Grand Nord, dans ces étendues de glaces qui assomment votre horizon et emprisonne le regard.

Le précédent ouvrage qui se déroulait sur ces espaces sans fin, et qui d’ailleurs avait été un véritable coup de cœur, c’était le livre de Gilles Stassart « Grise fiord » . Si vous ne l’avez pas lu, je vous recommande vraiment de le faire .

Cette fois-ci, c’est en compagnie de Caroline Hinault que nous repartons affronter le blizzard, dans une station perdue au-delà du cercle polaire, à la découverte de son premier roman « Solak ».

Solak, c’est le nom de ce confetti de présence humaine. Un campement occupé toute l’année par quatre hommes. Des militaires et un scientifique, ravitaillés de temps en temps par hélicoptère.

Justement celui-ci est de retour. Pas seulement pour apporter des vivres, mais aussi pour emporter le corps d’Igor.

La vie dans la promiscuité de cet endroit perdu, désertique et froid, n’est pas sans conséquence sur l’équilibre mental des hommes. Igor, pourtant expérimenté, a fini par craquer et décidé de fuir définitivement Solak de la manière la plus radicale qui soit, en se tirant une balle dans la tête.

Son remplaçant est déjà du voyage. On ne connaitra pas son nom, on parle du lui comme de la recrue, du gamin, car il est jeune. Jeune et muet, ce qui n’est pas forcément idéal pour égayer les soirées au coins du feu. Par contre il écrit beaucoup, remplit des carnets entiers.

Ce silence qu’il amène dans ses bagages est assourdissant pour les autres, qui se retrouvent face à leur propre solitude, à leurs maux, aux failles qui parcourent leur existence respective, bousculant le fragile équilibre qui prévalait entre eux.

Cette absence de corps, d’esprit de groupe, favorisera l’émergence d’un drame déjà en gestation avant la venue du gamin.

" Le gamin a pas répondu, son visage avait quelque chose d'abîmé, de déjà vieux, de déjà mort même j'ai pensé.Il est passé devant nous en portant un carton. J'ai repensé à ses yeux comme deux brochettes de glaçons. Fin comme une aiguille, mais ça puait l'écorché.Le coriace.Les emmerdes je me suis dit.

Dans ce huis clos couvert de glaces et de neige, la colère bouillonne, la haine s’attise, et le feu couve dans le cœur des hommes. Jusqu’au cataclysme.

128 pages, c’est court, mais la puissance qui se dégage de ce texte est impressionnante.

Celle d’une écriture aussi tranchante qu’une rafale de blizzard qui vous cisaille le visage.

Un style saillant, des phrases parfois sublimes pour décrire ce grand blanc où l’humanité de ces quelques individus se dissout peu à peu.

"On est tous arrivés ici pour la même raison, l'espoir d'amnésie à moins que ce soit d'amnistie, c'est le problème des grands mots, à deux lettres près comment savoir ? En tout cas l'espérance vénéneuse qu'à force de bouffer de la banquise, y aurait un peu d'innocence ou un truc originel bien limpide qui viendrait nous laver d'être des hommes. Le faux espoir que si le temps peut servir à une chose dans nos vies de cafard, ça devrait au moins être à ça, rouler les choses trop laides pour être racontées et en faire un grand cigare amer qu'on fume seul, le soir, avant d'en faire retomber les cendres froides sur nos âmes jaunies. "

Pour décrire aussi cette nuit arctique qui vient, qui s’apprête à avaler ce jour qu’on aurait cru éternel sous cette latitude, et que l’on redoute, car l’on sait au plus profond de son âme, qu’elle va vous mettre à nu, livré à vous-même, votre passé et à vos démons.

Enfin, une plume qui traduit admirablement la tension et les failles qui parcourent chacun des personnages de ce roman et qui leur donne cet incroyable relief.

Il ya Piotr le narrateur, sans doute le seul véritablement équilibré qui pose sur ses compagnons un regard lucide. Militaire, il est là depuis bien des années sans trop qu’on en connaisse les raisons. Un être désabusé, qui porte en lui à la fois une colère et une forme de sagesse.

Roq lui aussi est militaire, c’est un être hargneux, un dur à cuir, un bourrin confit de testostérone, qui se vante de ses faits d’armes et qui passe son temps à chasser et tuer des bêtes pour leur peau. Son rapport aux autres et au monde est un rapport de force. Pas le genre à s’émouvoir devant le spectacle d’une aurore boréale.

Ce n’est pas le cas du dernier d’entre eux, Grizzly. C’est un scientifique, un peu idéaliste, amateur de poésie, qui étudie l’évolution de la nature environnante. Il emmènera parfois le gamin avec lui découvrir ce monde blanc, qui a tout instant peut vous faire basculer dans un abîme ou donne au regard des éclats de couleurs flamboyants.

"Il passait ses mains dans sa tignasse d’ours brun, tournait lentement ses pages, on le voyait bien qu’il était loin de nous, qu’il voyageait dans la chair des mots, ça se sentait qu’il y prenait une saloperie de plaisir,il aurait fallu nous expliquer comment, à nous autres, comment on pouvait plonger comme ça dans des phrases écrites par d’autres et que ça vous injecte direct du sucre au cœur. "

« Solak » est un roman rude, âpre, un récit qui vous plonge dans cette atmosphère étouffante au milieu de ce grand nulle part.

Époustouflant de maîtrise, par moment poétique et parfois d’une grande violence, Caroline Hinault nous offre un texte d’une haute intensité, qui hante longtemps l’esprit du lecteur.

On vit cette tension poussée jusqu’à son paroxysme, on sent l’odeur du sang, on se met dans un coin pour se faire petit pour ne pas être pris dans cette tempête humaine destructrice qui s’annonce.

Il est dur pour un auteur qui réussit à emprisonner son lecteur comme la glace emprisonne un navire égaré, de maintenir jusqu’au bout cette atmosphère de plus en plus oppressante et d’aboutir à une fin portée par ce même élan, sans rien gâcher par une issue mal ficelée.

C’est ce qui arrive souvent hélas dans nombre de récits.

Ici c’est ce n’est pas le cas ! Le dénouement de cette histoire est incroyablement surprenant, et va remettre beaucoup de choses en perspective ! Un régal !

Caroline Hinault signe là son premier roman, et c’est assez stupéfiant. Nul doute que les éditions du Rouergue ont déniché une auteure brillante et fort prometteuse ! On attend déjà avec impatience son prochain livre.

A lire de toute urgence.

ACQUISITION: LIBRAIRIE

6 Commentaires

    • La petite souris

      Magnifique découverte que ce roman que jai dévoré moi aussi ! Il faut dire que pour une raison que je ne m’explique pas, je suis attiré part les textes se rapportant au grand nord ! en tout cas, un des meilleurs romans que j’ai lu chez le Rouergue !

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  1. Nico

    Hello Petite Souris,
    Fini « Solak » aujourd’hui et une légère déception pour moi. Il faut dire que les critiques sont tellement unanimes que j’en attendais peut être trop.
    Et surtout, après  » de silence et de loup » de Patrice Gain qui ne m’avait pas emballé plus que ça, je crois que contrairement à toi, je n’accroche pas avec les romans du Grand Nord.
    J’ai eu du mal avec le narrateur dès le départ et du coup, je suis toujours resté à distance.
    J’essayerai avec son roman suivant pour voir si c’est le sujet d’un écriture qui me laissent  » froid » (un peu facile celle là).
    En tout cas, très belle chronique.

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    • La petite souris

      bonjour Nico ! j’espère que tu vas bien ! je vois que l’été a été propice à la lecture ! 🙂 Dommage que tu n’aies pas aimé autant que moi ce roman . Mais c’est aussi intéressant de partager des avis différents ! on a chacun sa propre sensibilité et je pense aussi que le moment où l’on pénètre au coeur d’un roman compte aussi.Je sais pour ma part que j’ai lu des romans où je suis passé à travers uniquement parce que je les ai lus à un moment qui n’était pas propice. Je ne dis pas que c’est ton cas sur ce roman, je souligne juste que pour apprécier un livre beaucoup de choses rentre en ligne de compte et qui font qu’ à la fin on a apprécié le roman que l’on vient de lire ou non. C’est tout le charme de la lecture ! 🙂

      Réponse
  2. Moutie

    Je viens juste de le terminer et j’en suis encore toute chamboulée !
    Pour un premier roman, c’est vraiment une réussite.
    J’espère que les suivants seront aussi percutants.

    Réponse
    • La petite souris

      Bonjour ! Je suis très heureux d’apprendre que tu as beaucoup aimé ce roman ! moi j’en garde encore un souvenir très fort alors que cela fait un petit moment que je l’ai lu maintenant. Comme je le disais en réponse sur un autre commentaire je suis attiré (sans pouvoir l’expliquer) par les romans qui se passent dans ces régions froides et sauvages. Alors quand c’est très bien écrit, je ne peux que tomber sous le charme ! vivement son prochain en effet ! A bientôt j’espère ! 🙂

      Réponse

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